Si la question du bien-être animal (BEA) n’est pas nouvelle, le dynamisme semble particulièrement fort depuis ces dix dernières années. La modification de la relation homme-animal d’une part, et l’évolution de l’élevage d’autre part, ont contribué à faire émerger différentes formes de revendications, interpellant les institutions et provoquant tantôt des évolutions législatives, tantôt des positionnements stratégiques de la part des industriels et distributeurs, accélérant ainsi les mutations au sein des systèmes de production.
Le projet BICOSE a permis d’appréhender la place donnée au BEA dans l’aval des filières (IAA, GMS, institutionnels…). En effet, on observe depuis de nombreuses années une forte corrélation entre les décisions des industriels, eux même influencés par les opinions des consommateurs, et l’évolution accélérée des modes de productions. Il est donc apparu pertinent de sonder ces acteurs de l’aval des filières pour mieux anticiper les évolutions à venir, et ainsi mieux préparer les agriculteurs à ces mutations.
L’enquête semi-directive a été conduite entre août 2021 et décembre 2021 auprès de 14 entreprises. Quatre d’entre elles étaient des GMS-distributeurs, six étaient des Industries agroalimentaires et transformateurs et quatre des Coopératives et groupements de producteurs. Situées en Bretagne, Normandie, Alsace et Pays de la Loire, ces entreprises ont permis de recouvrir l’ensemble des filières d’élevages.
Bien-être animal : une question prise à bras le corps par l’aval
Concernant la prise en compte du bien-être animal, le constat est sans équivoque : les acteurs de l’aval ne peuvent plus l’ignorer. Théorisé, relayé par les associations, puis de plus en plus légiféré, le BEA est devenu incontournable. Un constat que l’enquête n’a fait que confirmer : treize des 14 structures interrogées ont répondu par l’affirmative à la question portant sur leur implication ou non dans le BEA. Une prise en considération datant des années 2000 dans le cas d’une partie des industries agroalimentaires, en veille sur ces sujets notamment en observant leurs homologues ou concurrents du nord de l’Europe. D’autres facteurs, comme les différentes crises sanitaires (vache folle, dioxine…), ou les initiatives de segmentation intégrant des mesures allant dans le sens du BEA (comme le bio ou le Label Rouge) ont également contribué à accélérer les mutations dans ces structures.
Enfin, les années 2010 ont été marquées par une intensification des communications des associations Welfaristes et abolitionnistes, et ont eu un impact sur les structures de l’amont : sur les 14 entreprises interrogées, dix d’entre elles ont reconnu avoir subi des pressions extérieures d’associations. Si cela n’a pas pénalisé les ventes, les mesures prises en faveur du BEA ont parfois été accélérées. Plusieurs entreprises ont à ce stade souligné que la dimension éthique leur était chère, et qu’elles ne cherchaient pas uniquement à répondre à des injonctions sociétales. Certaines ont même affirmé que leur positionnement n’était pas à corréler avec des pressions d’associations ou une tendance sociétale et/ou législative.
Dans leur majorité, ces structures (qu’il s’agisse des IAA, des coopératives ou des distributeurs) en arrivent donc à anticiper la réglementation. Selon les différentes filières, voici les mesures à être essentiellement ressorties :
► Vaches laitières :
- Réalisation du diagnostic Boviwell
- Prise en charge de la douleur lors de l’écornage
- Accès à l’extérieur systématique
Pour cette filière, il faut noter que le devenir des veaux mâles est une question récurrente, vis-à-vis de laquelle un durcissement pourrait survenir. Les coopératives demeurent donc en veille active sur cette question.
► Porcs :
- Davantage, voire exclusivement, de maternités liberté en porc (à un horizon de 10 ans)
- Arrêt des mutilations (caudectomie notamment)
- Accès à la lumière naturelle
► Volailles :
- Fin des cages (expérimentation sur le 100% sol, les jardins d’hiver…)
- Diminution de la densité
- Engagement dans l’European Chicken Commitment
► Abattoirs :
- Audits des abattoirs
- Installation de caméras
Parmi les sujets transversaux à l’ensemble des filières, il est également question de l’affichage d’un « score bien-être animal », lequel est actuellement déjà en expérimentation en volaille de chair notamment, et qui pourrait être suivi d’un label européen harmonisé dans quelques années.
La notion de bien-être de l’éleveur est ressortie spontanément chez plus de la moitié des sondés, faisant souvent naturellement le lien avec la suite de l’enquête, portant sur les moyens mis en place pour accompagner les éleveurs dans ces démarches. En effet, à la question « quelle perception les éleveurs ont-ils du BEA d’après vous ? », 92% des interrogés ont affirmé que les éleveurs n’y étaient pas hostiles, bien au contraire, si tant est qu’il leur en soit donné les moyens.
En fonction des structures les réponses ont logiquement été différentes sur les méthodes d’accompagnement prévues. Trois quart des GMS et distributeurs interrogées ont assuré avoir mis en place un accompagnement. La réponse par OUI ou NON à cette question est à corréler avec la taille des acteurs : en effet, les plus gros ont tendance à s’engager dans une logique de filière, tandis que les plus petits n’en ont pas les moyens.
Ont été évoquées les principales mesures suivantes :
- Contractualisation systématique, voire contrat tripartite, en s’entendant sur un plan de développement en matière de BEA
- Formation et conseil auprès des éleveurs engagés
- Répercussion sur les prix le temps de la mise en place des mesures (court terme)
Le maintien d’un prix plus élevé de manière définitive a été évoqué, mais n’a pas permis de dégager une tendance claire parmi les interrogés. Il semblerait cependant que la baisse de densité (s’il elle devait être imposée par le distributeur) pourrait faire l’objet d’une compensation financière.
De leur côté, la majorité des coopératives et groupements interrogés misent sur une transition positive et progressive, notamment en formant et en co-construisant les évolutions avec les éleveurs (en ne modifiant les cahiers des charges qu’avec leur accord par exemple). Le positionnement de ces structures vis-à-vis de l’anticipation de la réglementation peut paraitre assez ambigu, mais est compris dès lors que la question de la juste rémunération est mise sur la table. D’un côté, il ne semble pas opportun de trop presser les éleveurs pour qu’ils prennent de l’avance si la rémunération n’est pas au rendez-vous (« s’il n’existe pas de marché ») et de l’autre, il faut suffisamment avancer sur certaines questions pour ne pas se retrouver au pied du mur le jour où la loi imposera de nouvelles mesures. Mais d’une manière générale, les coopératives appellent à une plus juste rémunération : sans accompagnement financier, les évolutions ne pourront pas se faire.
La segmentation : un moteur du changement ?
Les dernières années ont montré une accélération des démarches de qualité et de segmentation : les produits se distinguent de plus en plus pour leurs impacts positifs sur l’environnement, la santé (écoscore, nustiscore, bio, produit « sans »…), leur qualité supérieure (Label Rouge), ou encore leur origine (AOP, IGP…). Les démarches privées se multiplient, s’ajoutant aux démarches publiques déjà nombreuses. Dans ce contexte, et dans un souci de leur donner une valeur ajoutée, pourquoi ne pas promouvoir les produits issus d’élevages responsables et à la pointe en matière de bien-être animal ?
La question « Le BEA est-il un motif de segmentation de vos marchés ? » a été posée à tous les sondés. Ceux-ci ont répondu NON dans leur majorité.
Les raisons évoquées sont les suivantes :
- L’argument de différenciation ne serait pas compris par les consommateurs. Pour les entreprises, le bien-être animal est un prérequis et ne doit pas être vu comme un « progrès » ou une « exception ».
- Le bien-être animal a vocation à être étendu, dans le cadre d’une montée en gamme généralisée (pas de marché de niche, et donc peu d'opportunités).
Vidéo : Le bien-être animal vu par l'aval des filières
Intervention de Maëlie Tredan (CA Bretagne) lors de la journée bien-être animal des Chambres d’agriculture du 15 juin 2022.
Résultat de l’enquête sur le bien-être animal réalisée auprès d’industries agro-alimentaires.